L’affirmation bien connue de Hegel selon laquelle l’art est mort, ou plus exactement « l’art est pour nous quelque chose du passé », me semble un point de départ obligé de toute réflexion sur la culture aujourd’hui. Cette thèse développée dans les années 1820 semble contredite par l’histoire de l’art depuis lors, mais je crois qu’il faut, dans un premier temps, reconnaître que Hegel a raison. D’abord parce que l’art des époques anciennes n’était justement pas compris comme « culture », c’est-à-dire objectivé, posé comme un ensemble d’objets extérieurs aux sujets, il était immanent aux communautés humaines, à leur vie quotidienne, et leur procurait les symboles et les significations avec lesquels ils habitaient leur monde. Ensuite parce que les œuvres n’étaient jamais réduites à une source de plaisir esthétique. L’œuvre était toujours porteuse d’un sens transcendant, d’un rapport à l’absolu, et l’histoire de l’art est ainsi inséparable de l’histoire des religions. Le rapport à l’œuvre d’art a totalement changé aujourd’hui. Il ne relève plus de la contemplation, c’est-à-dire de l’ouverture du sujet à une altérité radicale, à une dimension d’infini qui le dépasse, mais bien de la consommation, c’est-à-dire finalement de la digestion, de l’autosatisfaction et de la jouissance de soi.