Pablo Gallo, En la cama con Chéjov (2009)
Tchekhov
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Quand nous regardons longuement le ciel immense, nos idées et notre âme se fondent dans la conscience de notre solitude. Nous nous sentons irréparablement seuls, et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur. Les étoiles, qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années, le ciel incompréhensible lui-même et la brume, indifférents à la brièveté de l’existence humaine, lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens, accablent l’âme de leur silence ; on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans la tombe, et la vie nous apparaît dans son essence, désespérée, effrayante…
Iégor pensait à sa grand-mère qui reposait au cimetière à l’ombre des cerisiers ; il la revit, couchée dans son cercueil, une pièce de cuivre sur chaque œil ; il se rappela qu’ensuite on avait mis un couvercle sur la bière et qu’on l’avait descendue dans la tombe ; il se souvint aussi du bruit sec des mottes de terre sur le couvercle… Il se représenta sa grand-mère dans son cercueil étroit et sombre, abandonnée de tous et sans secours. Il l’imagina s’éveillant soudain, et, ne comprenant pas où elle était, frappant contre le couvercle, appelant à l’aide et, finalement, accablée d’horreur, mourant une seconde fois. Il imagina, comme s’ils étaient morts, sa mère, le Père Christophe, la comtesse Dranitski, Salomon. Mais, quelque effort qu’il fît pour se représenter lui-même dans une tombe obscure, loin de sa maison, abandonné, sans secours et mort, il n’y réussit pas ; il n’admettait pas pour lui-même la possibilité de mourir, il avait le sentiment qu’il ne mourrait jamais…
— Anton Tchekhov, la Steppe (trad. Édouard Parayre)
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EN APESANTEUR
Le cosmonaute Vitali Sévastianov, deux fois héros de l’Union soviétique, locataire de la station orbitale Saliout 4, a relaté ses impressions de lecture :
« Tchékhov aussi est devenu pour moi une des énigmes spatiales. »
Pour le voyage dans l’espace, ses écrits de jeunesse avaient été spécialement imprimés sur papier ultra-léger.
« Certes ces récits de Tchékhov qui me tombaient sous la main ne m’étaient pas absolument inconnus, ces simples et brillantes créations d’un génie qui ne faisait seulement que s’essayer à la littérature. Mais jamais, ni dans ma jeunesse, lorsque je les avais lus pour la première fois, ni plus tard, quand, revenu sur Terre, parmi les miens, je les rouvris spécialement, pour vérifier mes impressions, ils ne suscitèrent en moi un tel déferlement d’irrésistible gaieté que pendant le vol. […] Ces récits sans prétention sont de ceux, selon moi, que l’on ne mentionne même pas quand on parle de Tchékhov. Mais ils dissipent la fatigue à la vitesse de l’éclair. Ils évoquaient dans ma mémoire des milliers de visages connus et une foule d’associations, et toute sensation angoissante d’être coupé de l’humanité s’évanouissait. De quelle vertu curative les avait donc doués leur auteur ? »
— Roger Grenier, Regardez la neige qui tombe. Impressions de Tchékhov
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Parlant de l’art de la nouvelle William Faulkner donne Tchékhov en exemple : « Le premier travail auquel l’artiste doit faire face est de dire la chose aussi vite et aussi simplement que possible, et s’il est bon, s’il est de premier ordre, comme Tchékhov, il peut le faire chaque fois en deux ou trois mille mots. Mais, s’il n’est pas de première qualité, il lui faut parfois quatre-vingt mille mots.
Il dit aussi : « Dans un roman, vous pouvez être négligent, mais, dans une nouvelle, vous ne le pouvez pas. Je parle de nouvelles comme celles qu’a écrites Tchékhov. C’est pourquoi j’estime que le roman est de second ordre… parce que la nouvelle exige une précision absolue. »
Oui, c’est Faulkner qui déclare que le roman est de « second ordre » !
— Roger Grenier, Regardez la neige qui tombe. Impression de Tchékhov
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Il faut représenter la vie non pas telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle apparaît dans les rêves.
— Anton Tchekhov, la Mouette (trad. Antoine Vitez)
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Je n’ai jamais partagé l’engouement de Katia pour le théâtre. Pour moi, si une pièce est bonne, il n’est pas besoin, pour recevoir l’impression voulue, de fatiguer des acteurs ; on peut se borner à la lire ; si, au contraire, une pièce est mauvaise, aucun jeu ne peut la rendre bonne.
— Anton Tchekhov, Une banale histoire (trad. Denis Roche)