ANTI-SYMBOLES
Autrefois dans mon silence, que de portes, que de portes, que de portes se fermaient ! La première que je parvins à ouvrir en cachait une autre, celle-ci une autre, puis une autre et d’autres encore, une infinité d’autres.
Depuis ce temps je n’ai cessé de foncer sur des portes, des portes, des portes…
Ensuite, j’ai connu des fenêtres, des fenêtres avec des vitres. Parmi ces vitres, les unes étaient vides, n’ouvrant sur rien ; d’autres étaient pleines et opaques, d’autres obscures. Enfin, d’un jour faible, l’une d’elles s’éclaira. Toutes les autres ont suivi.
Puis j’ai foulé des planchers qui tanguent sur l’épaisseur élastique de l’air.
Puis j’ai souffert de la présence des plafonds, ces plafonds qui pèsent sur nos têtes et nous menacent, car ils font allusion à la future, exiguë et définitive boîte où, un jour, vous et moi…
Je n’oublierai pas non plus les murs, qui contiennent le mystère et qui parfois sur nous se referment, bras maternels.
Maintenant, toutes ces pièces d’architecture souverainement jouent à m’expliquer le monde énorme. Chaque fois que j’avance, une porte s’ouvre ou se ferme : l’air en est plein,
— comme il est plein de fenêtres à travers quoi je regarde toutes choses, l’œil brouillé par des larmes suspectes,
— comme je marche avec précaution sur les planches que je pose sur le vide,
— comme je baisse la tête, de peur de me cogner aux plâtres du ciel,
— comme je passe ma vie à écarter des murs, tout en vacillant sous leur ombre, d’un air faussement rassuré.
— Jean Tardieu, la Première Personne du singulier