À compter de ce jour, Will déborda d’espoirs et de désirs nouveaux. Il y avait toujours quelque chose pour faire vibrer en lui la corde sensible. L’eau vive emportait ses attentes avec elle lorsqu’il rêvait penché sur sa surface fuyante. Le vent qui courait sur la cime des arbres innombrables le saluait de ses encouragements. Le mouvement des branches l’invitait à descendre. Contournant les saillies de la roche, enchaînant les virages pour disparaître toujours plus vite au fond de la vallée, la route qui s’ouvrait devant lui le torturait de ses sollicitations. Il passait de longues heures à contempler du haut de l’éminence le cours de la rivière, les terres grasses qui s’étendaient au loin, à observer les nuages poussés par le vent paresseux et les ombres violettes qu’ils traînaient sur la plaine. Il lui arrivait aussi de flâner sur le bord du chemin et d’accompagner du regard les diligences qui descendaient la pente à grand bruit le long de la rivière. Tout ce qui passait, quoi que ce fût – un nuage, un coche, un oiseau ou l’eau brune du torrent – lui semblait emporter son cœur à sa suite dans l’extase du désir.
Les hommes de science nous disent que tous les périples des navigateurs, toutes ces contremarches des races et des tribus qui perturbent l’histoire ancienne de leur poussière et de leur rumeur, ne découlaient de rien de plus abscons que les lois de l’offre et de la demande, et de la quête instinctive d’un pain quotidien peu coûteux. Tout esprit pénétrant n’y verra qu’une terne et pitoyable explication. Si les tribus qui affluaient du Nord et de l’Est avançaient en effet sous la pression de celles qui les suivaient, elles répondaient en même temps à l’attrait magnétique du Sud et de l’Ouest. Elles avaient eu vent du prestige d’autres terres. Le nom de la Ville Éternelle avait résonné à leurs oreilles. Ce n’étaient pas des colons mais des pèlerins. Ils avaient beau marcher vers le vin, l’or et le soleil, leurs cœurs poursuivaient de plus nobles desseins. Cette divine fébrilité, cette vieille excitation qui aiguillonne l’humanité et fait toute la grandeur de ses succès et toute la misère de ses échecs, celle même qui déploya ses ailes avec Icare, qui jeta Christophe Colomb sur les flots désolés de l’Atlantique, inspirait et soutenait ces barbares dans leur marche hasardeuse.
— Robert Louis Stevenson, Will, l’homme du moulin (trad. Nicolas Waquet)