Les trois auteurs, deux femmes et un homme, tous professeurs d’astronomie, affirment, avançant des arguments aussi déplaisants que convaincants, que l’humanité a toujours été enchainée à des conceptions du monde totalement erronées. En d’autres termes, l’Homme n’a jamais depuis le début de son histoire eu une image réaliste de son environnement puisqu’il a toujours été abusé par ses idées reçues. Ces dernières ont certes évolué, elles se sont transformées, mais toutes présentent un point commun : elles sont fausses et le monde dans lequel l’être humain s’imagine vivre depuis toujours n’a simplement jamais existé.
Il y a cinq siècles, expliquent les auteurs, notre planète était au centre de tout et l’Univers se résumait au système solaire. De cette conception inébranlable ont découlé la prédominance de l’Homme et de notre Terre. Peu à peu, la science a progressé et il y a environ un siècle, les plus grands savants s’accordaient tous à dire que le système solaire n’était qu’un fragment d’une gigantesque galaxie, et que cette galaxie était l’Univers lui-même. Plusieurs décennies ont passé, les connaissances et la technologie ont progressé à grands pas et nous avons découvert que notre Voie lactée n’est qu’une simple galaxie parmi des milliers d’autres – ce qui augmente d’autant la taille de l’Univers.
Notre conception du monde découle de ces connaissances depuis des dizaines d’années.
Mais aujourd’hui, des indices concordants s’accumulent, laissant présager que ce que nous envisagions comme un infini n’est rien de plus qu’un univers parmi une infinité d’autres. Notre univers qui, hier encore, était une immensité incommensurable et dont on pensait qu’il abritait à la fois Dieu et l’éternité, n’est en fin de compte qu’un simple avatar parmi des centaines voire des milliers d’autres. Ce qui était naguère infiniment grand se résume désormais à un infime fragment appartenant à un puzzle gigantesque et énigmatique. Histoire de couronner cette incertitude et de souligner un peu plus encore notre ignorance, notons que nous ne savons absolument pas à quoi
ressemblent ces autres univers. Personne n’a la moindre idée de leur emplacement, nul n’est capable de dire s’ils obéissent aux mêmes lois que le nôtre, s’ils sont reliés par des points de contact, s’ils l’ont été à un moment ou à un autre, ni ce que ces éventuels points de contact, proximités ou collisions risquent d’engendrer – et pour finir, on ignore s’il est possible de voyager de l’un à l’autre :
“S’agissant des questions ontologiques fondamentales, malgré toutes les prouesses que nous avons accomplies et la rapidité fulgurante avec laquelle les sciences ont évolué ces dernières décennies, nous sommes encore aujourd’hui pour ainsi dire des hommes des cavernes qui passent leurs soirées à se réchauffer devant l’âtre de leur cheminée et contemplent la voûte céleste étoilée sans avoir la moindre idée de ce que représente cette multitude de points lumineux. Tout indique désormais qu’il existe une infinité d’univers, et qu’il est donc impossible pour l’esprit humain de comprendre les lois les plus fondamentales qui régissent l’existence. Ainsi, on peut imaginer que certains univers se reflètent les uns les autres, mais ils le font sans doute de manière extrêmement surprenante, pour ne pas dire à la lisière du fantastique. Par exemple, il n’est pas impossible que vous soyez simultanément présent dans plusieurs dimensions, au sein d’environnements divers obéissant à des lois différentes. Vous êtes toujours vous bien qu’entièrement dissemblable. En d’autres termes, la question Qui suis-je, cette interrogation vieille comme le monde, est désormais tellement immense qu’y répondre est pratiquement voué à l’échec.”
— Jón Kalman Stefánsson, Ton absence n’est que ténèbres (trad. Éric Boury)