Des jours et des semaines durant on se triture vainement les méninges et l’on ne saurait dire, à supposer que l’on soit interrogé sur ce point, si l’on continue à écrire par habitude ou pour se faire valoir, ou parce qu’on ne sait rien faire d’autre, ou encore parce que la vie n’a pas cessé de nous étonner, par amour de la vérité, par désespoir ou par indignation, pas plus qu’on ne saurait dire si le fait d’écrire nous rend plus sage ou plus fou. Peut-être chacun de nous perd-il la vue d’ensemble au fur et à mesure qu’il bâtit sa propre œuvre, et peut-être est-ce pour cette raison que nous sommes disposés à nous imaginer que le progrès de la connaissance se mesure à l’aune de la complexité croissance de nos constructions intellectuelles, et cela bien que nous pressentions en même temps que jamais nous ne saisirons les impondérables qui, en réalité, déterminent notre parcours.
— W. G. Sebald, les Anneaux de Saturne (trad. Bernard Kreiss)