J’ai une technique spéciale pour les ascenseurs : j’essaie de ne les prendre que vides. L’ascenseur, c’est un cabinet de toilette qui monte et qui descend, sans les W.-C. Nous y sommes livrés à notre intimité, sujets aux réflexions métaphysiques encouragées par l’exiguïté du lieu, le sentiment du transitoire que nous éprouvons quand nous appuyons sur les boutons des étages. Il est insupportable de partager un espace aussi petit et important avec un autre être humain. Rien que d’y penser, ma colonne vertébrale se hérisse, telle celle d’un chat qui aperçoit le chien du voisin, son ennemi quotidien qu’il ne peut éviter de croiser. Je fais toujours plus d’un tour dans la rue avant d’entrer dans l’immeuble, pour m’assurer qu’aucun voisin n’est sur le point d’arriver. J’ouvre la porte de l’ascenseur le plus vite possible sans regarder à côté, pour ne pas tenter le mauvais sort.
La complète solitude dans les ascenseurs me soulage tellement que, parfois, j’en oublierais presque que je suis arrivé et qu’il ne me reste plus qu’à trottiner jusque chez moi, mes clés au poing comme une arme, en évitant de croiser les voisins, les femmes de ménage, les domestiques et les livreurs de pizza. Jusqu’à maintenant, ça a presque toujours marché, j’ai pu jouir seul des étroites parois de l’ascenseur.
— Luiz Schwarcz, Éloge de la coïncidence (trad. Michel Riaudel)