Ce que nous appelons le monde n’existe que comme une fable.
— Olivier Rolin, Veracruz
Ce que nous appelons le monde n’existe que comme une fable.
— Olivier Rolin, Veracruz
44.
Lorsque, venant de l’Alaska et faisant route vers le Japon par le nord, on aborde la passe d’Unimak, le volcan surgit de la mer sur tribord, enneigé des pieds à la tête, mais d’ordinaire si embarrassé de nuages que l’on n’en distingue que quelques pans, d’une blancheur aveuglante, à travers d’irrégulières fenêtres ouvertes dans la brume et presque aussitôt refermées. On mit pour moi une baleinière à la mer, chargée de quelques vivres, d’une douzaine de bouteilles de bordeaux et de fusées vertes et rouges. Mon départ ne fut salué d’aucun coup de sirène, et je vis sans regret le Meistersinger s’éloigner vers l’ouest avec son escorte de puffins. Longtemps après qu’il eut disparu, j’entendis le battement de ses machines, puis plus rien que le fracas des vagues se brisant au pied du volcan sur la neige durcie.
La première nuit fut terrible : dans la mer de Behring, les otaries aboient continuellement dans les ténèbres, ainsi que sous nos climats, dans la campagne nocturne, les chiens qui se font écho de ferme en ferme.
Après cette première nuit, il en vint d’autres, à peu près identiques, et dans l’intervalle desquelles il me semble qu’il faisait jour. Alors, le long du rivage sans abri, je marchais dans le tonnerre des brisants vers Shishaldin, Shishaldin et ses quelques légumes. Pourvu, me disais-je, pourvu que je n’arrive pas trop tard pour les légumes. Enfin, si la saison des légumes est passée, il restera toujours quelques poissons. Et reprenant espoir, je marchais invariablement vers Shishaldin.
— Jean Rolin, Journal de Gand aux Aléoutiennes
Cela se passait de nuit, vers 23 heures, précise le commandant de M., sur une mer d’huile et sous un ciel somptueusement étoilé. À chaque tir — ou à chaque impulsion — du canon émetteur d’ondes électroacoustiques, poursuit le commandant, une infinité de points lumineux, comme une réflexion de ceux dont le ciel était criblé, s’allumaient dans les profondeurs sous-marines, pour s’éteindre au bout de quelques secondes, puis se rallumer après une nouvelle giclée d’ondes. Et pendant ce laps de temps, conclut le commandant, où scintillaient dans les profondeurs les millions de micro-organismes stimulés mystérieusement par les ondes, tandis que brillaient au ciel les étoiles, c’était exactement comme si le bateau, libéré de tout lien terrestre, voguait en apesanteur dans l’espace.
— Jean Rolin, Ormuz