On ne peut connaître son propre style et l’utiliser. On utilise toujours un style préexistant, mais d’une façon instinctive qui en forme un autre qui est actuel. On ne connaît son style présent que lorsqu’il est passé et définitif et que l’on se retourne pour l’examiner en l’interprétant, c’est-à-dire en s’expliquant comment il est fait.
Ce que nous sommes en train d’écrire est toujours aveugle. Nous ne pouvons pas savoir sur le moment si cela vient bien (c’est-à-dire si, après, en y revenant, nous estimerons ça réussi). Simplement, nous le vivons et il va de soi que les astuces, les intentions que nous y apportons, sont un autre style composé précédemment, étranger à la substance du style actuel.
Écrire, c’est consommer ses mauvais styles en les utilisant. Revenir sur ce qui est déjà écrit pour corriger est dangereux, on court le risque de juxtaposer des choses différentes.
Donc il n’y a pas de technique ? Si, mais le nouveau fruit qui compte est toujours un pas en avant sur la technique que nous connaissions et sa pulpe est celle qui naît peu à peu à notre insu, sous notre plume.
Que nous connaissions un style, cela veut dire que nous avons percé un partie de notre mystère. Et que nous nous sommes interdit d’écrire dorénavant dans ce style. Le jour viendra où nous aurons mis en lumière tout notre mystère et alors nous ne saurons plus écrire, c’est-à-dire inventer le style.
— Cesare Pavese, le Métier de vivre (trad. Michel Arnaud et Martin Rueff)