« Je crains de ne pas m’être fait comprendre, repris-je, exaspéré, je suis un écrivain de théâtre, Battista, et non un scénariste professionnel… si beau et parfait que puisse être ce scénario, il ne sera pour moi… permettez-moi de vous le dire franchement, qu’une chose faite dans le seul but de gagner de l’argent… Or, à vingt-sept ans, on a généralement un idéal… le mien est d’écrire pour le théâtre… pourquoi ne puis-je le suivre ? Parce que le monde d’aujourd’hui est fait de telle manière que personne ne peut choisir la voie qu’il désire et doit faire au contraire ce que veulent les autres… pourquoi l’argent tient-il une telle place, dans ce que nous faisons, ce que nous sommes, ce que nous voulons devenir, dans notre métier, nos meilleurs aspirations et jusque dans nos rapports avec ceux que nous aimons ? »
Je m’aperçus que je m’étais échauffé et que dans ma véhémence mes yeux s’étaient remplis de larmes. J’en eus honte et maudis intérieurement mon âme sentimentale qui me poussait à faire de telles confidences à l’homme qui, quelques minutes auparavant, avait tenté avec succès de séduire ma femme.
— Alberto Moravia, le Mépris (trad. Claude Poncet)