Un jour, il eut avec Manuel une conversation sur l’âme et le corps. Manuel prétendait qu’il s’agissait d’une distinction fantastique, irréelle. Julio lui demanda alors pourquoi il les percevait comme des instances différentes et son voisin lui répondit que l’histoire de l’humanité pouvait se résumer en un combat contre la perception, créatrice inépuisable de mirages.
— Les sens, ajouta-t-il, disent que le soleil se couche, alors qu’il ne se couche ni ne disparaît. À en croire les sens, les objets, en s’éloignant, deviennent plus petits, pourtant ils ont incontestablement la même taille ici ou à cent mètres plus loin. Les sens nous font croire que les corps sont massifs alors que quatre-vingt pour cents d’un atome sont faits de vide, rien d’autre. La réalité est un trou. As-tu entendu parler de la matière noire ?
— Juan José Millás, Une vie qui n’était pas la sienne (trad. André Gabastou)