— Vingt-six ans, n’est-ce pas ? Si je ne me trompe pas, tu as maintenant vingt-six ans ?
— Vingt-quatre, le corrigea Henry.
— Encore pire ! Vingt-quatre ans et tu rêves de préretraite ! Mon Dieu, quand je pense à tout ce que j’avais déjà accompli à ton âge. En tout cas, j’avais déjà trouvé ma voie. Je savais à quoi je voulais arriver. Toi, tu sais à quoi tu veux arriver dans la vie ?
— Que veux-tu dire ?
— Ne fais pas semblant, tu sais très bien ce que je veux dire : une situation à laquelle tu aspires, grâce à laquelle tu pourras ou tu crois pouvoir obtenir un maximum de choses.
Henry réfléchit un instant, puis déclara sur un ton joyeux :
— Quand j’entends le mot « arriver », cela me fait aussitôt penser à « gare d’arrivée ». J’entends l’annonce : « Terminus, ici terminus, tout le monde descend. »
— Je suis désolé, Henry, mais je ne trouve pas cela drôle, pas drôle du tout. On doit quand même fixer un but à son existence, non ? On peut bien traînailler un certain temps, gâcher les premières années de sa vie, mais un jour, le moment est venu de se décider et d’agir. Tu me permettras de te dire qu’un homme aussi capable que toi pourrait être plus avancé, beaucoup plus avancé.
— Bien sûr que je te permets, mais je te prie de comprendre que cela ne m’intéresse pas d’avancer. Je ne veux pas faire carrière. Je ne veux pas gravir les échelons pour atteindre la situation que tu évoques. Je laisse ça à d’autres.
— Mais qu’est-ce que tu veux, alors ?
— Je veux me sentir bien au travail et je veux qu’on me laisse tranquille, qu’on m’épargne toute cette cavalcade et tout ce tumulte.
Son oncle commençait à se fâcher.
— Eh bien, mets-toi à la recherche d’un autre monde ! s’exclama-t-il. Un monde où tu trouveras tout ce qu’il faut pour te sentir bien ! Un monde où tu pourras vivre entièrement à ta guise. Seulement, je crains que tu ne doives chercher longtemps. Et par ailleurs, il ne faudrait pas que tu oublies qu’on doit d’abord mériter sa préretraite, travailler pour y avoir droit et la mériter.
— J’ai compris, dit Henry.
— Siegfried Lenz, le Bureau des objets trouvés (trad. Frédéric Weinmann)