Tout de suite, je mis la conversation sur le sujet qui m’intéressait le plus : la littérature. C’était pour moi un domaine analogue à ces contrées quasi fabuleuses qui vous attirent obscurément et dont on rêve devant l’atlas. Silbermann, lui, en avait parcouru toute l’étendue ; il connaissait les points de vue les mieux situés, m’y entraînait et m’aidait à distinguer le détail qui fait que le paysage est beau. Parfois, prenant mon bras, il m’arrêtait, et comme il se serait écrié : « Regarde cette rivière argentée, regarde cette chaîne de montagnes », il me récitait deux vers ou une phrase magnifique. Alors je me sentais transporté et j’eusse désiré qu’il continuât toujours. Et de même qu’au voyageur qui m’eût décrit les Pyramides, j’eusse impatiemment demandé ensuite : « Et le Nil ? » je demandais, lorsque Silbermann m’avait instruit de tout ce qu’il savait sur un écrivain : « Et Vigny ?… Et Chateaubriand ?… » Alors il repartait, l’esprit aussi vif, aussi sûr, jamais lassé, explorateur dont la mémoire et l’enthousiasme étaient sans défaillance.
— Jacques de Lacretelle, Silbermann