Denis Grozdanovitch, l’Art difficile de ne presque rien faire, Paris, Denoël, 2009.
Dany Laferrière, l’Art presque perdu de ne rien faire, Montréal, Éditions du Boréal, à paraître le 8 novembre 2011.
Denis Grozdanovitch, l’Art difficile de ne presque rien faire, Paris, Denoël, 2009.
Dany Laferrière, l’Art presque perdu de ne rien faire, Montréal, Éditions du Boréal, à paraître le 8 novembre 2011.
C’est d’ailleurs à cela que sert principalement la littérature : créer une camaraderie de soutien moral à distance entre ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés à s’intégrer au monde tel qu’il est !
— Denis Grozdanovitch, De l’art de prendre la balle au bond
Pour finir, nous devenons inéluctablement stériles par crainte obsessionnelle de ne pas être assez productifs.
— Denis Grozdanovitch, De l’art de prendre la balle au bond
Quelque temps plus tard, réfléchissant intensément dans le bain chaud que je m’étais fait couler, je mesurai avec une certaine amertume la complexité du problème que posait l’exercice de la paresse dans le monde d’aujourd’hui, lequel, on le savait, avait fait sa religion de l’activisme anglo-saxon protestant : la rédemption par le travail ! En effet, j’avais pu constater plus d’une fois combien il était difficile, pour ne pas dire impossible, à mes contemporains de prendre à la lettre de vraies vacances : il suffisait, pour s’en persuader, d’observer leur rythme de loisirs frénétiques menés tambour battant dès l’aurore. Ces prétendus loisirs étaient désormais entièrement inféodés au sacro-saint credo du rendement et de la productivité. Plus triste encore : ceux-là mêmes qui tentaient d’échapper à cet activisme des loisirs devaient faire face à une telle force d’entraînement collectif qu’ils ne pouvaient y opposer qu’une sorte d’inertie annihilante privée des saveurs de la paresse hédoniste et gâtée par les âcres relents de la culpabilité.
Plus personne, en vérité, ne semblait capable de s’adonner avec pertinence à l’art difficile et subtil de ne presque rien faire. Éduqués comme nous l’avions été — dans le respect sacré du volontarisme et dans la foi indéfectible aux vertus de l’effort pénible — nous nous surprenions sans cesse et de façon impénitente à en faire beaucoup trop. Avec cette quantité surnuméraire, nous ne cessions d’écraser et de détruire la qualité de nos plus précieuses entreprises ; nous manquions sans cesse nos objectifs en voulant trop bien faire ; dans l’élan de notre impétuosité nous pulvérisions au passage les buts que nous nous étions fixés, sans même nous en apercevoir. Nous ne savions plus doser ni équilibrer nos gestes avec la précision et la sobriété requises par le cours des choses. Pour finir, nous devenions inéluctablement stériles par crainte obsessionnelle de ne pas être assez productifs.
— Denis Grozdanovitch, « L’art difficile de ne presque rien faire », le Magazine littéraire, numéro 433 (juillet-août 2004).