De mémoire d’homme, le mur avait toujours été là. Dans ce territoire de poussière où la ville s’interrompait, créant un terrain nu, un espace libre pour le vent. Et les Fêtes de la Rénovation.
Bornant la cité sur son front oriental, le mur se poursuivait au-delà des faubourgs, courait la lande, ondulait au gré de ses vallonnements, s’inscrivait sur le cadastre d’autres communes, passait les frontières, existait enfin sur tout le paysage connu de ce côté du monde. Ceux qui ne l’avaient jamais vu le concevaient et l’acceptaient. Il était une réalité solide. Un paramètre incontournable de l’existence.
À certains endroits, sa surface se lézardait ; un peu de mortier, quelques pierres roulaient jusqu’au sol. Ceci toutefois ne concernait que la surface, n’entamait en rien la rigidité de l’ensemble. Le mur ne vieillissait pas. On ne lui en laissait pas le temps. La rénovation d’une zone avariée donnait lieu à des réjouissances populaires. Aux gens du quartier s’ajoutaient des convives accourus depuis des parties lointaines de la ville, chacun apportant un plat, une bouteille, une cornemuse, un tam-tam. Mais surtout, logée dans sa poitrine, dans son ventre, et plus bas, une envie chaude, un peu brutale, que chants et danses attiseraient.
Le protocole était bref, la rénovation symbolique. Les réjouissances quant à elles duraient jusqu’à l’aube. Les Fêtes de la Rénovation n’étaient pas célébrées à date fixe. Elles pouvaient être données plusieurs fois par an, ou ne pas avoir lieu durant des années.
C’était le mur qui décidait.
— Roland Fuentès, le Mur et l’Arpenteur