Je ne pense sans doute pas comme il faut, mais chez moi les mots et les idées ne se présentent jamais séparément ; je n’ai jamais, avant d’écrire, une idée, même floue, même incomplète, de ce que je m’apprête à dire. L’idée apparaît après, une fois que les mots l’ont incarnée. Pour être tout à fait exacte, elle naît probablement en même temps que les mots qui la nomment et sans lesquels elle ne prendrait jamais corps, mais je n’ai pas réellement conscience de participer ni même d’assister à cette naissance, je ne peux que la constater a posteriori, parfois avec une légère surprise, comme si cette idée avait été énoncée par quelqu’un d’autre. Il n’y a pas d’abord une abstraction que le langage viendrait rendre visible ou intelligible ; c’est le langage même qui pense.
— Dominique Fortier, Quand viendra l’aube