Si quelqu’un, du haut d’une guérite élevée, s’amusait à considérer le genre humain, comme les poètes disent que Jupiter le fait quelquefois, quelle foule de maux ne verrait-il pas assaillir de toutes parts la vie des misérables mortels ! Une naissance malpropre et dégoûtante, une éducation pénible et douloureuse, une enfance exposée à la merci de tout ce qui l’environne, une jeunesse soumise à tant d’études et de travaux, une vieillesse sujette à tant d’infirmités insupportables, et enfin la triste et dure nécessité de mourir. Ajoutez à cela cette foule innombrable de maladies qui nous assiègent continuellement pendant le cours de cette vie malheureuse, ces accidents qui nous menacent sans cesse, ces infirmités qui nous accablent tout d’un coup, ce fiel amer qui empoisonne toujours nos instants les plus doux. Sans parler encore de tous les maux que l’homme fait à son semblable, tels que la pauvreté, la prison, l’infamie, la honte, les tourments, les embûches, les trahisons, les procès, les outrages, les fourberies… Mais comment les compter ? Ils sont en aussi grand nombre que les grains de sable qui couvrent les bords de la mer. Par quels crimes les hommes ont-ils donc mérité tous ces maux ? Quel dieu irrité peut les avoir forcés à vivre dans cet abîme de misères ?
— Érasme, Éloge de la folie (trad. Thibault de Laveaux)