On se demande bien ce que c’est, en littérature, une vie ordinaire. Dans la vie, on voit mieux : travailler beaucoup, aimer un peu (si c’est beaucoup, ça n’est plus ordinaire), mourir trop tôt. Se distraire, aussi. Les philosophes ont trop facilement critiqué la distraction comme remède. Dans les livres, les personnages ne se distraient pas, ils vivent. J’entends par là que la vie est au premier plan, qu’on partage, et dès qu’elle est au premier plan elle cesse d’être ordinaire. Et si d’aventure elle l’est, ordinaire, dans son énoncé, elle accède à l’exception parce qu’elle est écrite. La pensée de l’ordinaire, déjà, parce qu’elle est une pensée, est le contraire d’un engluement.
Cavaillès
-
-
Dans tous les cas, notons-le bien, les bonds s’offrent comme l’image d’une quête angoissée de liberté. D’une manière ou d’une autre, pour les baleines qui sautent hors de l’eau, la vie sous-marine échoue si bien à se suffire à soi-même et à se donner pour sa propre et seule fin, qu’elle les pousse par instants à s’évader dans les airs, quoique ce saut si bref puisse paraître plus vain encore que le reste.
— Nicolas Cavaillès, Pourquoi le saut des baleines