J’aurais plutôt le chic pour les longues périodes d’inaction pendant lesquelles je rêvasse en pure perte. Je n’ai pas la sottise de croire que je bâtis une « œuvre ». Je ne crois pas un seul instant que le Québec vivra plus mal si je fais une sieste en milieu d’après-midi.
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Charley resta silencieux. Jour après jour la sensation qu’il avait d’être blessé par tout le monde, par la vie elle-même, grandissait et le bâillonnait.
— Henry Green, Back (trad. Claire Fargeot, Anne Villelaur et Martine Bourgarel)
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Thomas se réveille […] il voit son doigt recousu, Je dois être au CHUM, par la porte ouverte de sa petite chambre il observe le fourmillement des infirmières et des médecins, il entend des murmures, des bruits de pas, il se sent aspiré par cette béance, ce rectangle lumineux découpé dans le mur, il lévite, flotte en dehors de sa chambre, et soudain il traverse un mur et se retrouve dans le réseau pneumatique de l’hôpital, au milieu des prélèvements et des remèdes, il monte à bord d’une capsule de plastique et file à toute vitesse, à très exactement vingt-deux kilomètres-heure, où désire-t-il aller, il traverse les pavillons, la cafétéria, se rend au centre de distribution où des robots actionnent leurs bras mécaniques, comptent les médicaments, les emballent aux côtés d’humains qui font des tâches similaires, Suis-je dans un film ? se demande-t-il, et alors il suit un robot, prend l’ascenseur qui lui est réservé, bifurque vers le pavillon D, ce pavillon qu’il a visité avec sa mère il y a quelques mois, espérant un jour y travailler, le pavillon D qui compte pas moins de dix-neuf étages, avec bon nombre de recoins, de corridors et de détours, dix-neuf étages peuplés de travailleuses et de travailleurs acharnés qui inspectent, auscultent, aident, tâtent, mesurent, mais aussi mangent, défèquent, pleurent, parfois dorment, il les observe qui fourmillent dans les couloirs, dans les chiottes, dans les bureaux, chaque espace est aménagé pour répondre à une fonction précise, mais Thomas se demande qui de ces gens connaît vraiment le CHUM, qui en a visité tous les corridors, les détours et les recoins, il parcourt les allées labyrinthiques, traverse les murs, Tiens, qui peut dire ce qui se trouve derrière la quatorzième porte du sixième étage, pas celle du corridor principal, non, celle qui se trouve dans le couloir excentré, en coude, accessible uniquement par cet autre passage où seuls les employés peuvent circuler, Thomas n’avait pas vu cet endroit lors de sa visite mais maintenant il le peut, il se déplace à travers les dix-neuf étages du pavillon D, s’immisce sous les portes, par les trous de serrure, nombreuses sont les pièces où il faut un code d’accès, un mot de passe, un badge que l’on passe devant un détecteur ou tout simplement une clé, nombreuses sont les pièces où il est interdit de s’aventurer, De ces pièces qui connaît tous les secrets, se demande-t-il, qui sait ce qui se trouve derrière la quatorzième porte du sixième étage, le directeur l’ignore, il s’en tient à sa tâche, il dirige, c’est tout, et les médecins ne quittent pas leur pavillon, il doit bien y avoir des agents de sécurité qui ont accès à une vision globale, à une salle des caméras, comme dans les films d’espionnage, mais nombreux sont les lieux où l’intimité doit être respectée, une salle d’examen, un bureau prévu pour les négociations corsées, de celles qui ont lieu derrière des portes closes, Thomas n’ose pas entrer, il pense avec vertige que personne ne peut avoir une vue d’ensemble de la structure, l’architecte, peut-être, qui l’a dessinée, mais encore, Thomas sait trop bien comment il est facile pour l’entrepreneur de prendre quelques libertés, un pot-de-vin et hop, une salle secrète, un quatrième sous-sol, une trappe dans le mur, alors le CHUM, ce « nouvel hôpital » qui n’est en fait qu’une chimère, que l’amalgame de trois hôpitaux anciens que l’on a raboutés comme on a rabouté son doigt, il soigne, gué-rit, ressuscite, mais Thomas se demande si derrière cette porte ne se déroulent pas aussi des actions plus sombres, des sacrifices, des expérimentations que personne ne doit voir – et puis il se dit qu’il n’a rien à perdre, il se sent protégé, lové dans son environnement douillet, alors il y va, il traverse la quatorzième porte du sixième étage et derrière il n’y a ni sacrifice ni expérimentation, il n’y a que son corps, meurtri, déchiré, criblé de protubérances tubulaires qui le rattachent à cette machine, à cette électricité qui parcourt l’ensemble de l’hôpital, il se sent soudain enchaîné, captif, il a intégré la chimère, il a nourri la bête.
— Étienne Goudreau-Lajeunesse, « Morphine », Cochoncetés
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Et moi, leur dit Henry, je suis votre voisin. Le peu d’argent dont j’ai besoin pour vivre, je le gagne en faisant des petits travaux de maçonnerie et de menuiserie à un dollar la journée, la plupart du temps pour des amis. Et si vous me voyez me baguenauder en plein après-midi avec ma canne à pêche sur l’épaule, sachez qu’en travaillant un jour sur sept, l’équivalent de sept semaines par année, je ne manque de rien. J’habite une petite maison très propre que j’ai bâtie de mes mains […]. Je suis riche, parce que ma richesse se calcule en heures ensoleillées et en jours de marche.
— Louis Hamelin, Un lac le matin
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Il cessa d’écrire : il n’avait plus rien à cacher.
— Emil Cioran, Cahiers 1957-1972
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Il y avait des gens de tous âges mais surtout des vieilles personnes que deux idées contradictoires avaient attirées : d’une part, elles avaient la désagréable impression que leur propre mort n’était pas bien loin et, hélas, se rapprochait et, de l’autre, une joie très nette qui l’emportait sur ces tristes considérations : ce Pierre était mort et eux étaient bien vivants. Ils se rendaient en général aux obsèques pour constater de manière irréfutable leur propre immortalité, fût-elle temporaire.
— Gaïto Gazdanov, Dernier Voyage (trad. Anne Flipo Masurel)
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C’était en vivant dans sa cabane plutôt qu’en la dessinant que le primitif lui donnait une silhouette informe et libre. Au gré de ses besoins, il prolongeait le larmier, se bâtissait un fournil ou rehaussait le toit, accumulant les modifications, laissant se dégrader ce qui ne servait plus ; il réalisait une architecture du ventre : une architecture qui émanait des besoins tels qu’ils se présentent, spontanément et dans le désordre, au fil des jours.
— Laurent Lussier, Monumentaux, illuminés
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— Wim Wenders, Quand je m’éveille (1982) -
Et la vie m’apparut rapide comme un train qui passe.
— Guy de Maupassant, Adieu
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Quoi qu’il s’en dise dans les livres, nulle émotion humaine n’a jamais duré ni ne durera jamais bien longtemps. Même si la plus forte brûlure revient vous visiter de temps à autre, elle connaît nécessairement des intervalles d’apaisement ou de rémission. Dans la vraie vie le chagrin le plus aigu trouve envers et contre tout à se calmer et finit par sécher ses larmes ; il n’est de désespoir si lourd qu’il n’atteigne un certain niveau, en dessous duquel il ne descendra pas, pour laisser à l’espoir, malgré que nous en ayons, une chance de renaître.
— W. Wilkie Collins, Une belle canaille (trad. Éric Chédaille)
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LES INSECTES ET LES CHAMPIGNONS
ils ont connu le vent qui a abattu le chêne
et senti les vibrations de sa chute
mais ils ne conçoivent pas qu’un arbre est mort
ils discernent une vie au-devant
à travers la communauté de parasites,
de microbes et de spores
réfugiée sur ses racines encore
attachées à la terre ;
ils savent que
la fin est dans le commencement
et le commencement dans la fin— Sarah-Louise Pelletier-Morin, le Marché aux fleurs coupées
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XIV.
Un champ de recherche se développe depuis une décennie autour de l’umwelt des fleurs. Les écologues tentent de déconstruire l’idée que le végétal ne ressent rien, qu’il ne possède pas de monde affectif. Cette communauté d’individus pressent une sensibilité au-delà du mutisme, au-delà de l’immobilité.
— Sarah-Louise Pelletier-Morin, le Marché aux fleurs coupées
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Ce qui se passa par la suite – était-ce un rêve ? – se raconte à peine. Parce que cela échappe à notre expérience, on dira que c’est impossible et que la vie sépare les êtres, qu’elle est trop sérieuse pour tant d’allégresse ou trop tragique, parce qu’on meurt finalement et que tout est perdu de toute façon. Mais les incrédules oublient de vivre, et, pendant ce temps, quelque chose qui n’est pas le néant et qui est plus que la mort peut advenir. Quand cela advient, il y a comme une détente dans l’être, une éclaircie, quelque chose qui éclôt qui attendait au bord de l’être d’être enfin.
— Simon Nadeau, le Monastère buissonnier
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À chaque jour suffit sa peur.
— Nina Berberova, le Cap des Tempêtes (trad. Luba Jurgenson)
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Hikikomori est un mot japonais désignant un état psychosocial et familial, concernant en majorité des hommes, qui vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels.
Ils se sentent accablés par la société, ont le sentiment de ne pas pouvoir atteindre leurs objectifs de vie et réagissent en s’isolant de la société.