Ceux qui sortent du cadre, en renouant par exemple avec des démarches plus « balzaciennes » pour faire quelque chose de nouveau, par exemple Houellebecq et bien d’autres, vont être classés comme des gens « rétro ». C’est pourtant eux, finalement, qui définissent, par rapport aux années 1950, une attitude romanesque complètement nouvelle… Ces années 1950, c’est devenu une espèce de « néo-académisme »… Une modernité parvenue au statut social, universitaire, qui veut toujours garder ce privilège de l’audace et de la novation et qui désigne ce qui ne lui ressemble pas comme une régression. J’ai vécu ça avec Robbe-Grillet, un homme par ailleurs très sympathique. Quand j’ai eu le Prix Médicis, il était là, dans le jury. Le même jour, le prix Femina a été décerné à Marie NDiaye, une écrivaine qu’il aime à juste titre mais qui est liée par son esthétique à l’aventure du Nouveau roman. Robbe-Grillet donc vient me voir et me dit : « C’est bien, tu as eu ton prix, mais vraiment, tu comprends, ta littérature c’est réac, on dirait du Balzac… Alors que Marie NDiaye, c’est une littérature vraiment audacieuse ». Pour lui, l’audace, c’est ce qui lui rappelle l’audace de ses trente ans, alors que la mienne, il est incapable de la percevoir…

[…]

Des féeries d’un nouveau genre sont possibles : autour du tourisme, de notre rapport aux machines, à l’image, aux nouvelles technologies… Tous ces domaines qui n’ont pas encore donné lieu à de vraies explorations romanesques, alors qu’ils changent radicalement notre vision du monde. Pour ma part, j’aime bien raconter l’affolement de personnages lisses, genre jeunes cadres, dans les labyrinthes contemporains, de la sanisette automatique dans Drôle de temps à la communication en ligne dans Service clientèle. Cet affrontement des machines, sans qu’il s’agisse de science-fiction mais plutôt de froideur hyperréaliste, voilà ce qui me fascine. Sauf que notre hyper-réalité a elle-même un fond surréaliste : on y glisse facilement de la description rigoureuse vers la féerie, le cauchemar. C’est pour cette raison que des auteurs comme Kafka ou Marcel Aymé, des habitués de ce genre de glissement, sont pour moi des sources vives, en tout cas bien plus que les chercheurs en écriture.

Benoît Duteurtre