Votre rapport d’unité de travail est en baisse constante. La charte d’évaluation de l’entreprise le constate point par point. Vous préférez travailler seul alors que votre mission exige une interaction accrue au sein de l’équipe de gestion. Au fil des mois, nous avons noté chez vous une forte tendance à ignorer les conseils des autres. La grosse dame continue d’émettre de petits cris d’oiseau. Lors des réunions hebdomadaires, vous exprimez des idées en contradiction systématique avec l’ensemble du groupe. Vos décisions semblent affecter ceux qui vous côtoient de façon négative. Certains de vos collègues se sont plaints à la direction. Les procédures enclenchées de votre propre chef paraissent incompatibles avec les objectifs visés. À la lecture croisée d’autres rapports, votre axiome de fonctionnement actuel constitue un levier de distorsion susceptible de démobiliser d’autres ressources.
La chargée de mission aux cheveux de poupée sort du dossier une fiche où figure un arbre peint en aplats. Elle me montre le dessin qu’elle tapote du doigt. Regardez. Les racines ci-dessous représentent votre degré d’énergie continue. Le dessin montre parfaitement qu’elles sont atrophiées. Elles ne vont pas puiser au plus profond de vous-même. Leur teinte marron pâle indique un déficit de persévérance de votre action-réseau. Vous vous épuisez vite. Le tronc paraît solide mais il manque de flexibilité. L’écorce ligneuse confirme une préférence marquée pour un travail solitaire où la routine est constante. Voici les fruits. Ils symbolisent votre contribution personnelle à la croissance de l’entreprise. Je remarque aussitôt qu’ils sont peu nombreux. Ils ont l’apparence de figues chétives alors que l’image de l’arbre s’apparente plutôt à celle d’un banal pommier. La chargée de mission continue sa démonstration en soulignant l’atrophie des feuilles, le rachitisme de la frondaison. Elle conclut en posant le carton peint devant mes yeux : votre arbre de vie manque de richesse, de générosité. Les abscisses qui soulignent le schéma montrent à l’évidence que vos curseurs sont dans le rouge.
— Philippe Lafitte, Un monde parfait