Je ne déteste pas ne rien avoir à faire. Si je cherche sérieusement, je pourrai trouver un travail où me rendre en moins d’une heure en bus, et je n’ai pas peur d’aller en bus à la gare pour prendre ensuite un train, de faire une heure ou plus de vélo, voire d’élargir mon champ d’action en puisant dans mes économies pour acheter un cyclomoteur. Bref, si je cherche à fond, je trouverai forcément quelque chose. Je ne tiens pas particulièrement à décrocher un CDI très bien payé. La seule chose, c’est qu’à ce stade, je n’ai pas envie de travailler, je n’en vois pas la nécessité, et c’est cette absence de désir qui est la plus forte en moi. Je pourrais vivre sans travailler. Le salaire de base de mon mari a augmenté, du moins un tout petit peu, il touche une indemnité frais de transport et les heures supplémentaires qu’il fait chaque jour jusqu’à minuit et plus lui sont payées. Non seulement le supermarché est moins cher que celui où j’avais mes habitudes avant, mais je n’ai plus besoin d’acheter des plats préparés ou surgelés. Le lait premier prix que j’achetais spécialement pendant les promotions une fois par semaine, je peux le trouver ici tous les jours à cinq yens de moins. En plus, il est de meilleure qualité. Jusqu’aux légumes, qui sont dix ou vingt pour cent moins chers. Surtout, on n’a pas de loyer à payer. En fait, un travail à plein temps, même en CDD, je n’en ai plus absolument besoin à présent. J’aurais l’impression de perdre mon temps. Les tâches, les responsabilités, les récriminations, les souffrances, tout ce qui pesait sur moi, même si c’est sans doute peu de chose comparé aux CDI, ne valaient en tout et pour tout que le loyer d’un petit appartement vide. Si cela ne nous coûte plus rien grâce à la bonté de ma belle-mère, on pourra s’en sortir sans que j’aie à travailler. Les vacances pour existence, et des vacances dont je ne verrai peut-être jamais la fin. Alors que mon mari travaille tous les jours jusque tard dans la nuit, pourquoi donc aurais-je le droit, moi, de profiter de grandes vacances ? Il faut que je travaille. Et si je ne le peux pas, il faut que je fasse quelque chose, car mon corps devient plus lourd chaque jour qui passe. Je suis plutôt légère. Pourtant, mes muscles, mes articulations, voire chacune des cellules de mon corps sont comme englués, me rendant trop indolente pour entreprendre quoi que ce soit. Mais non, je ne me chercherai pas d’excuse en incriminant mon corps plutôt que moi-même. Je suis devenue paresseuse, et c’est entièrement ma faute. Mon mari, ma belle-mère, le grand-père ou quelqu’un ne va certainement pas tarder à me traiter de fainéante. Je le comprendrai très bien, néanmoins cette personne me le dira-t-elle vraiment d’une manière aussi abrupte ?

— Hiroko Oyamada, le Trou (trad. Silvain Chupin)