J’étais sérieuse avec Philip quand je lui avais dit ne pas vouloir de travail. Je n’en voulais vraiment pas. Je n’avais aucun projet d’avenir financièrement viable : je n’avais jamais voulu gagner de l’argent en échange d’un travail. J’avais fait des petits boulots payés au salaire minimum au cours des étés précédents – du mailing, du démarchage téléphonique, des choses comme ça –, et je m’attendais à recommencer une fois mon diplôme obtenu. Je savais que je serais bien obligée d’avoir un jour un boulot à plein temps, mais je n’avais jamais imaginé un avenir radieux dans lequel je serais payée pour participer au fonctionnement de l’économie. Parfois, ça me semblait traduire une incapacité à m’intéresser à ma vie, ce qui me déprimait. D’un autre côté, j’avais le sentiment que mon désintérêt pour l’argent était idéologiquement sain. J’avais cherché quel serait le revenu de chacun si on divisait le PIB mondial par le nombre d’habitants sur terre, et d’après Wikipédia, on aboutissait à 16 100 dollars. Je ne voyais aucune raison, qu’elle soit politique ou financière, de gagner davantage que cette somme.

— Sally Rooney, Conversations entre amis (trad. Laetitia Devaux)