Son imagination était fascinée par le fait que l’exploitation, les terres environnantes, ces terres réputées grasses et fertiles, avaient peut-être, des millions d’années auparavant, été recouvertes par la mer… que dans ces lieux, les mers et les continents s’étaient succédé dans le temps et soudain […] son esprit se laissa submerger par ces fluctuations du temps, il ressentit froidement la réalité de son existence : il se vit, victime impuissante et sans défense de cette écorce terrestre mouvante, il vit la courbe fragile de sa naissance et de sa mort s’évanouir dans le combat silencieux des mers en retrait, des montagnes en ascension, sous son corps lourd, bien calé dans son fauteuil, il pouvait presque sentir cette légère vibration, signe d’une nouvelle intrusion de la mer, le signal de l’impossible fuite, cette mer incapable de résister à sa propre force et qui, en se déversant, entraîne dans sa course folle des hordes d’animaux effrayés, paniqués, ours, lapins, biches, rats, insectes, lézards, chiens, hommes – comme cette vie absurde qui se précipite vers l’incompréhensible destruction collective – tandis qu’au-dessus de leurs têtes le vol plongeant des oiseaux épuisés reste l’ultime espoir.

— László Krasznahorkai, Tango de Satan (trad. Joëlle Dufeuilly)