Dans un long voyage en mer, le spectacle de l’infini bleu épuise un jour ou l’autre le marin, et le livre à une soif brutale de divertissements, si futiles soient-ils, d’échappatoires à la métaphysique, à cette oppressante profondeur et à ce vide manifeste de Dieu. On Le préfère alors dans les poissons et dans les oiseaux, dans les écailles et dans les plumes, dans les bonds et dans les pépiements – plutôt que dans Son inlassable répétition de vaguelettes et de platitude, plutôt que dans les deux effroyables rectangles bleus de la mer et du ciel en plein océan, par un énième matin désespérément calme. La nuit, les étoiles semblent dire quelque chose, mais la mer compacte, homogène, rendrait fou même Spinoza. Enfin, cette ennuyeuse punition cède toujours la place à quelque tempête, à quelques heures d’urgence, d’incertitude et de fragilité criantes qui font alors regretter les heures mornes.
— Nicolas Cavaillès, Vie de Monsieur Leguat