Pour l’essentiel, ce combat était un combat intérieur et j’avais tout intérêt à ne pas en parler avec les différents médecins et thérapeutes de la clinique. Quand on me demandait comment je me sentais, je pesais mes mots, sans exagérer mon angoisse ni chercher à les persuader que j’allais bien. Ne pas reconnaître sa maladie est le péché capital du patient en psychiatrie, le moyen le plus rapide d’intensifier le régime de contrôle. Je répondais par exemple : « mieux, aujourd’hui, je crois », dans l’espoir de leur accorder une petite victoire, de ne jamais remettre en question leur autorité, leur légitimité à émettre des jugements sur ce qu’il était raisonnable ou permis de sentir ou de croire. Et donc j’allais mieux. Le traitement, l’environnement apaisant, l’absence relative de tension – tout concourait à me redonner une impression de maîtrise. Ma véritable vision du monde, c’était une autre affaire. Je ne parlais pas du futur inhumain qu’Anton préparait, ni de l’impression que j’avais eue, avant même de le rencontrer, que nous nous précipitions tous vers le désastre. Je comprenais que j’avais réagi de façon inadaptée, que confronté à la terreur j’avais échoué, j’avais été défaillant. Mais rien dans mon traitement ne concernait ces questions. Mes médecins étaient essentiellement au service du statu quo. Leur travail reposait sur l’hypothèse que le monde est acceptable et que quiconque en juge autrement doit être amené à l’accepter, par la persuasion ou la chimie. Et si le monde n’est pas acceptable ? Et si la réaction raisonnable consiste à pousser un cri d’épouvante sans fin ?

— Hari Kunzru, Red Pill (trad. Élisabeth Peellaert)

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