Maintenant, la maison de Soukhodol est entièrement vide. Tous ceux dont il est fait mention dans cette chronique sont morts, tous les voisins, tous leurs contemporains. Et on pense parfois : au fond, ont-ils vraiment vécu dans ce monde ?
Ce n’est que dans les cimetières que l’on sent qu’il en fut bien ainsi. On se sent même terriblement proche d’eux. Pour cela, il faut faire un effort, passer du temps, penser à cette tombe familiale – si seulement on la trouve. J’ai honte de le dire mais ne puis le cacher : nous ne connaissons pas les tombes de mon grand-père, ni celle de ma grand-mère, ni celle de Piotr Petrovitch. Nous savons seulement qu’elles se trouvent près de l’abside de la vieille église, dans le village de Tcherkizovo.[…]
Sous quel monticule gisent les ossements de ma grand-mère, de mon grand-père ? Dieu le sait ! La seule chose dont tu sois sûr, c’est ici, quelque part, tout près. Assieds-toi et efforce-toi d’imaginer ces Khrouchtchev oubliés de tous. Et leur temps commencera à te paraître soit infiniment lointain, soit tout proche.
— Ivan Bounine, Soukhodol (trad. Madeleine Lejeune)