Nous ne faisons pas venir, ajoutai-je, du vin des pays étrangers parce que nous manquons d’eau ou d’autres choses à boire, mais parce que cette boisson est un liquide spécial, qui nous rend joyeux en nous faisant perdre la raison ; il dissipe toutes les pensées mélancoliques, fait naître en nos cerveaux des images désordonnées et extravagantes, relève nos espoirs et chasse nos craintes, mais nous prive complètement pour un temps de l’usage de notre raison et nous rend même incapables de nous servir de nos membres ; enfin il nous fait tomber dans un profond sommeil. Il faut reconnaître pourtant qu’on se réveille toujours malade et découragé, et que l’habitude de cette boisson provoque des maladies qui martyrisent et raccourcissent notre vie.
— Jonathan Swift, Voyages de Gulliver (trad. Jacques Pons)