« Est-ce que tu vas mieux ? »
Des connaissances

Eh bien non, je ne vais pas mieux. Alors qu’elle est de toute évidence mue par la sollicitude, cette question ne manque jamais de provoquer une légère agressivité dont la violence rentrée suscite en moi le désarroi. À l’injonction d’aller mieux et de retourner à la vie active, quelque part obscure de moi se refuse manifestement. Appartenir à la maladie, est-ce l’alibi trouvé pour s’installer dans ce temps du flottement, ce temps du rêve, de l’irréel ? Pour appartenir à cette autre réalité, parallèle, celle du corps d’avant le dressage ? Pour renouer avec l’organique, avec l’animal et la plante en soi, avec ces pulsions asociales auxquelles on ne s’abandonne totalement que dans un sommeil peuplé d’hallucinations révélatrices dont, le plus souvent, on ne veut rien savoir ? Devenir un gigantesque acte manqué accomplissant le désir de déliaison que tout le monde fuit dans un emploi chargé et dynamique. Il y a si peu d’espace pour accueillir cela, les bribes de soi qui se laissent flotter dans l’air jusqu’à flirter avec la désintégration. Si peu de temps hors la maladie et la grossesse pour les plongées dans la grotte, dans les miasmes, « tout près du cœur sauvage de la vie », comme l’écrivait Clarice Lispector, citant Joyce.

— Frédérique Bernier, Chimères