Je cherchais K… dans les lits. J’ai reconnu des têtes, on s’est fait un signe. Je marchais sans faire de bruit le long des lits. Je cherchais K…

J’ai demandé à l’infirmier qui était près du poêle :

— Où est K… ?

Il m’a répondu surpris :

— Ben quoi, tu es passé devant. Il est là.

Et il me désignait, vers la porte, un des lits devant lesquels j’étais en effet passé. Je suis revenu sur mes pas et, dans les lits proches de la porte, j’ai regardé chaque tête sur son oreiller.

Je n’ai pas vu K… Arrivé près de la porte, je me suis retourné et j’ai vu un type qui était couché lorsque j’étais passé la première fois et qui venait de se relever et se tenait appuyé sur ses coudes. Il avait un long nez, des creux à la place des joues, des yeux bleus à peu près éteints et un pli de la bouche qui pouvait être un sourire.

Je me suis approché de lui, je croyais qu’il me regardait ; je me suis approché très près, puis j’ai déplacé ma tête sur le côté ; la sienne n’a pas bougé et sa bouche a gardé le même pli.

Je suis allé alors vers le lit voisin et j’ai demandé à celui qui était couché :

— Où est K… ?

Il a tourné la tête et m’a désigné celui qui était appuyé sur ses coudes.

J’ai regardé celui qui était K… J’ai eu peur, peur de moi. Pour me rassurer, j’ai regardé d’autres têtes, je les reconnaissais bien, je ne me trompais pas, je savais encore qui ils étaient. L’autre était toujours appuyé sur ses bras, la tête pendante, la bouche entrouverte. Je me suis approché de nouveau, j’ai penché la tête au-dessus de lui, j’ai longtemps regardé les yeux bleus, puis je me suis écarté : les yeux n’ont pas bougé.

Je regardais les autres. Ils étaient calmes, je les reconnaissais toujours, et, sûr que je les reconnaissais toujours, je suis revenu aussitôt vers lui.

Je l’ai regardé alors par-dessous, je l’ai examiné, je l’ai tellement regardé que j’ai fini par lui dire, pour voir, à voix très basse, de tout près :

— Bonsoir, mon vieux.

Il n’a pas bougé. Je ne pouvais pas me montrer davantage. Il gardait cette espèce de sourire sur la bouche.

Je ne reconnaissais rien.

J’ai fixé alors le nez, on devait pouvoir reconnaître un nez. Je me suis accroché à ce nez, mais il n’indiquait rien. Je ne pouvais rien trouver.

— Robert Antelme, l’Espèce humaine