C’est la remise de la maison, et c’est là que je vis. Depuis bientôt vingt ans. — Vingt ans ? dis-je, effarée. — Oui, vingt ans ! Ça fait un sacré bail ! Il y a vingt ans, vous n’étiez encore qu’un bout d’chou à tout petits petons, pas vrai ? Je me trompe ? Eh bien moi, il y a vingt ans, j’étais déjà un ado, mais qui sans la moindre hésitation a quitté l’école, transporté son lit dans la cabane qui sert de remise et commencé à vivre là… Mes parents ont probablement pensé que c’était une phase de rébellion qui ne durerait pas, mais grosse erreur ! Moi, J’y pensais depuis que j’étais gamin, pas plus grand que ça. Un jour, je me barrerai de chez ces cons… Cependant, je n’en avais pas l’occasion. Bah oui, il me fallait un endroit où aller. Et c’est précisément à cette époque qu’ils ont construit cette remise au fond du jardin. Une super construction sur deux niveaux, car, sachez-le, notre famille était dans l’agriculture il n’y a encore pas si longtemps, et c’est pour ça, pour ranger les outils, qu’ils l’ont faite à un étage. Moi, ça ne m’a pas échappé et un jour je me suis accaparé l’endroit ! J’ai profité de la nuit. Un coup de génie ! Et depuis, me voilà, j’ai jamais bossé. Un vrai bon à rien ! (p. 94-95)

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Comment je pourrais le dire ? Oui, ils ne sont pas méchants. Maman, tout le monde, ce sont plutôt de braves gens, je pense. Moi aussi, je suis un brave type, je ne ferais pas de mal à une mouche ! En tout cas, ils ne sont pas méchants, c’est sûr. Seulement, voilà… La famille, c’est une institution bizarre, vous ne croyez pas ? C’est un couple, un homme et une femme, autrement dit un mâle et une femelle. Ils s’accouplent, et pourquoi ? Pour laisser une descendance. Mais alors, tout le monde sans exception doit en laisser une, c’est ça ? Par exemple, moi, je suis un descendant de papa et maman, mais pour autant suis-je quelqu’un qui mérite de perpétuer la vie dans une génération suivante ? Pour élever un enfant comme moi dont il ne sait pas s’il le mérite ou pas, papa a sué sang et os, maman a dû vivre sous le même toit que mamie, avec qui elle n’avait aucun lien de sang et avec qui elle ne s’entendait pas. D’accord, mamie est morte jeune, mais elle a été obligée de prendre soin d’elle et à la fin, ça n’a pas été une partie de plaisir. Elle en a bavé, jusqu’à ce qu’elle meure. Une fois ça réglé, elle s’est mise au service du grand-père, qui n’a pas un caractère facile. Être une épouse, une mère, c’est se mettre au service des autres sans en attendre aucune contrepartie. Et tout ça, papa et maman le font pour une unique raison : laisser vaille que vaille derrière eux une descendance, c’est-à-dire moi, la génération suivante. Moi, ça me terrifie. (p. 121-122)

— Hiroko Oyamada, le Trou (trad. Silvain Chupin)