— […] Je crois surtout que j’aimerais mieux ne rien faire.

— Ah ?

Brugnon avait dit : Ah ? d’une voix un peu étranglée. Cette réponse de Florence l’avait très durement frappé. « J’aimerais ne rien faire », avait-elle dit. Et lui, qui avait passé sa vie à détester et mépriser ceux qui ne font rien, il découvrait l’un d’eux en face de lui, et c’était justement la femme qui lui plaisait, à laquelle il s’efforçait de plaire. Il pensa à Simone, qu’il avait aimée parce qu’elle travaillait, parce que, comme lui, elle méprisait la paresse. La paresse ; il n’avait jamais cherché ce qu’on entend au juste par ce mot ; il ne savait sous quelles formes elle peut se présenter dans la vie. Pour lui, la paresse était figurée par le souvenir de quelques employés peu soignés, engagés par erreur et chassés le sixième jour. Ou encore par un de ses anciens amis qui, enrichi par un héritage, avait renoncé au travail et finissait sa vie dans le luxe, sans métier. Il avait rompu aussitôt avec cet ami. La paresse, c’était cela, quelque chose de répugnant, qu’il n’osait approcher et voici qu’il en voyait devant lui un visage nouveau, gracieux et désirable ; voici que la paresse le regardait en souriant et lui disait : c’est moi que tu cherches, c’est moi que tu veux, c’est moi que tu aimes…

— Pierre Bost, Faillite