Finalement, il fut décidé que je viendrais régulièrement à la clinique pour des séances d’étirement. La table de manipulation était d’une forme étrange. On aurait dit un instrument de torture de l’Europe du Moyen Âge, un matériel de théâtre en plein air d’avant-garde, ou un dispositif d’incubation pour les œufs d’un oiseau d’espèce protégée.

Tout d’abord, le corps était ceint d’un corset d’où pendaient un grand nombre de crochets métalliques. Dès que l’on s’était allongé sur le lit dans un cliquetis, l’infirmière arrivait pour attacher les poignets et les chevilles avec une ceinture. Comme elle serrait de toutes ses forces afin qu’il ne reste même pas un espace d’un millimètre, j’avais l’impression de recevoir un châtiment. Les crochets du corset étaient fixés à une poulie avec un cadran qui permettait d’en régler la force. J’avais commencé à quinze kilos, puis on avait augmenté d’un kilo par jour et maintenant j’étais arrivée à trente-deux, le maximum.

À la fin, l’infirmière déposait une solide couverture métallique sur ma poitrine et quittait la pièce après avoir appuyé sur un bouton rouge.

Sous mon dos il y avait alors un bruit continu de glouglou comme de l’eau qui bout et c’était très chaud. À tel point que je me demandais toujours si j’arriverais à le supporter. Je voulais essayer de demander de baisser la température, mais comme les infirmières, toutes très occupées, manifestaient régulièrement leur mauvaise humeur, je n’osais jamais. Et je finissais toujours par l’endurer jusqu’à la fin.

L’instant que je redoutais le plus était celui où la poulie se mettait en marche. J’imaginais, alors qu’il n’y avait aucune raison à cela, ce qui se passerait si la traction opérée sur mon bassin ne s’arrêtait pas. J’avais vraiment l’impression d’être à la torture. Le supplice du feu et de la roue.

La poulie tirait lentement sur les crochets. La ceinture s’incrustait dans mes flancs, le corset appuyait sur mes reins. La machine grinçait çà et là comme si elle était mal entretenue. La force augmentait de plus en plus. Je cherchais en vain à l’intérieur de mon corps un endroit libre. La couverture m’immobilisait, je ne pouvais même pas cligner des yeux. Et pendant ce temps-là, l’eau continuait à bouillir.

Alors je me résignais à fermer les yeux. Je sentais bien que ma colonne vertébrale s’étirait. Les fibres musculaires se déchiraient, les ligaments se contractaient, les disques intervertébraux ressortaient, la moelle coulait et finalement mon squelette se désintégrait en mille morceaux. Les os, comme les perles d’un collier cassé, s’éparpillaient sur le sol. Leur bruit sec, la sensation d’éclatement se distinguaient nettement. Le pire, c’est que ce n’était pas désagréable. C’était même presque extatique. Je trouvais amusante l’idée de pouvoir ramasser les os de ma colonne vertébrale en miettes, vérifier qu’ils étaient chauds, sentir leur odeur, les regarder en transparence à travers la lumière.

Encore un peu. Quand la poulie aurait progressé de quelques centimètres, tout ce qui arrimait mon corps se détacherait. Encore un peu. Un tout petit peu. Je serrais fort les paupières en attendant cet instant-là.

Mais au moment limite où je ne pouvais plus le supporter, la poulie se mettait à tourner dans l’autre sens. Les ferrures se relâchaient, le grincement s’arrêtait. Et cela se répétait pendant vingt minutes.

Quand on m’enlevait la couverture, je promenais mon regard sur mon corps. Mes bras, mes jambes, mes reins et mon dos étaient solidement arrimés. Rien n’était relâché, rien n’était dispersé. C’était comme si j’étais enfermée de telle sorte que je ne puisse pas m’enfuir. Et je devenais un peu triste.

— Yōko Ogawa, la Petite Pièce hexagonale (trad. Rose-Marie Makino-Fayolle)