Selon le diagnostic du médecin arrivé sur les lieux avec les premiers secours, la chute d’un corps du huitième étage est généralement fatale. La voix grave au parfum aigre insiste pour joindre la douleur de l’entreprise à celle de la famille du défunt. Tout en considérant que cet incident aura eu le mérite de nous ouvrir les yeux. De permettre de souffler un instant pour faire face aux impondérables. De prendre le temps nécessaire à la redéfinition des vecteurs de communication-ressource à l’intérieur du groupe de manière à accompagner les valeurs humaines qui doivent, au-delà d’une compétitivité accrue par le cercle vertueux de la croissance, rester celles de la solidarité au service de l’entreprise. Esprit de groupe qui contribuera, en tant que valeur d’exemple, à financer l’achat d’une couronne mortuaire sur laquelle sera agrafée, en discret hommage collégial, cette carte de condoléances que vous aurez le devoir comme nous tous je crois de parapher en hommage posthume à votre collègue de travail. Il va sans dire que la condamnation définitive des fenêtres de l’immeuble sera effectuée dans les plus brefs délais, après délibération du comité de direction bien sûr. Notre mission est délicate mais nous nous y tiendrons. Mieux : nous maintiendrons plus que jamais la cohésion au sein du groupe de travail. Sans jamais perdre de vue que notre vision est une démarche de qualité totale. Malgré les circonstances douloureuses, nous resterons fidèles aux convictions qui nous ont toujours permis d’aller de l’avant. Donnons dès aujourd’hui la priorité aux priorités de demain. Demeurons proactifs. Tout en ouvrant le débat sur les conditions de travail qui nous permettent de perpétuer contre vents et marées l’esprit d’équipe d’une entreprise qui gagne. Veuillez signer ici. Après une minute de silence j’inscris les éléments de notre contribution sur le bord de la carte. Je la remets avec précaution aux mains qui pianotent en face de nous.

— Philippe Lafitte, Un monde parfait