Pour moi une chambre, à une certaine époque, c’était tout dire. Une chambre pour moi seul.

Oui, ce devait être cela. Une chambre, c’était être à l’abri. Être préservé. Être à l’écart. Séparé des autres, des gêneurs. Rentré en soi. C’était le secret, le retour au recueillement, la vie individuelle, le ravitaillement psychique, le lieu qui rend possible l’introspection, la séparation d’avec le bruit de la ville, et d’avec le bruissement de la nature (excessive elle aussi), c’était le refuge, le refus et tout ce grâce à quoi l’enfant prodigue ne reviendra jamais au foyer. (p. 46)

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Dans une perspective différente, la chambre montre le manque de partage. Elle est même là pour attirer l’attention sur ce manque, prétendra quelqu’un. Voire. Disons plus simplement qu’elle est en rapport avec le manque de partage, avec la méfiance envers les autres et le souci de préservation personnelle. Son image est présente chez un homme qui sent mieux le retiré, le secret, la retraite, les lieux d’étude, la méditation, un homme pour qui le mot « seul » est plus parlant que le mot « mutuel » et bien, bien plus que le mot « familial », et à qui le remaniement intérieur dit quelque chose, et les ambitions extérieures peu de choses. Cela s’applique à quelqu’un de pas spécialement tourné vers la communication directe, qui, dès qu’il est sorti un peu, a besoin de se reprendre, de se ressaisir, à l’écart de toute compagnie même la meilleure, surtout de se trouver hors des lieux ouverts, des réunions, des manifestations de groupe. (p. 47)

— Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé