En septembre 1997, j’étais au chômage, et donc je me dis : « J’ai un an ». J’ai passé le Capes d’arts plastiques, que j’ai brillamment raté, et, l’année d’après, il ne me restait vraiment plus qu’une année de chômage. Je me dis : « Là… » Je me suis posé vraiment la question de ce rapport au roman. Et de me dire : « Je m’en fous, je ne fais que ça. Pendant un an, je ne fais que ça. » Et, pendant un an, j’ai dû écrire trois livres. De septembre 1997 à septembre 1998. Je me suis dit : « Si, en septembre 1998, je n’ai rien, je ne touche plus jamais un livre de ma vie ». Pas seulement en tant qu’auteur, mais aussi en tant que lecteur. Il fallait que ça passe ou que ça casse. J’ai écrit un premier roman, un deuxième. On est arrivé en juin, et j’avais fait deux textes qui n’étaient vraiment pas bien, qui étaient ratés, quoi. Et, juin, je me disais par rapport à septembre, je me disais… Il y a vraiment un moment… J’ai eu une espèce de libération, en me disant que je ne serais jamais écrivain et que ce n’était pas grave, en fait. Je l’ai vécu comme une libération. Alors, pour fêter ça, j’ai ouvert mon ordinateur et j’ai commencé les cinq premières pages de Loin d’eux. Et je ne savais pas du tout ce que c’était. L’objet est arrivé comme ça, c’est un des livres que j’ai peut-être le moins travaillés – mais c’est vrai, hein ! –, qui est venu comme ça, comme s’il y avait eu une sorte d’exaspération ou comme un ressort, qui a été tendu pendant quinze ans, qui d’un seul coup m’a pété à la gueule. J’ai compris à ce moment-là – mais vraiment comme une espèce de libération – que mon problème était que je me refusais à aimer mes personnages. Ton problème : tu veux toujours faire le romancier, c’est-à-dire faire le malin avec les choses et essayer de croire que tu peux dominer quelque chose. Il faut juste accueillir, accueillir aussi ce que parfois on a du mal à accepter pour soi. Oui, le livre, il est venu un peu comme ça. Et c’est vrai que, les quatre premières pages, je ne savais même pas de quoi ça parlait. Non, mais, vraiment ! Et, au fur et à mesure, ça s’est construit parce qu’un livre, il ne vous fait pas le cadeau de venir tout seul, c’est-à-dire que ça se fait heureusement dans une durée. Le livre, je l’ai terminé début septembre 1998 et je l’ai envoyé tout de suite, et ça s’est bien passé. Je n’étais même pas sur un petit nuage, je n’étais pas heureux : j’étais soulagé, c’était une espèce de soulagement. […] C’est un livre dont je sentais, en l’écrivant, qu’il venait de très loin.