De certains écrivains, on éprouve le besoin de préciser qu’ils sont des stylistes. Ce n’est pas toujours un compliment. Un livre dont le langage s’impose pour lui-même n’en est pas plus mauvais ; ce qui gêne l’attention et déconcerte l’émotion, c’est la boursouflure, quand le style fait des bulles qui n’en finissent plus de crever à la surface des phrases. Le manque d’intériorité, voilà le défaut des qualités trop brillantes ; et, partant, une lâcheté du lien qui devrait tenir serrées la parole et la pensée. On dit styliste comme on dit virtuose : qui dispense sur le champ une satisfaction énervée, épidermique.

Les œuvres qui restent, qui nous accompagnent et qui attendront notre possible retour, s’imposent par un langage inentamable. Les modes passeront, et les goûts, et les vérités reçues ; la culture changera sous la poussée de l’histoire ; le style juste, où la mort est la mère des formes, vivra aussi longtemps que les hommes. […] Des écrivains qui firent du bruit en leur temps s’étoufferont dans l’oubli ; ils collaient à leur époque comme l’écorce à l’arbre.

— Jacques Brault, « Quatre essais miniatures », Voix et images, numéro 35 (hiver 1987).