Il gâchait sa vie à force de l’observer, cependant que le temps s’écoulait et la jeunesse avec lui, sans que Singer ait levé le moindre petit doigt pour retenir cette jeunesse et profiter de son état si enviable. C’était un cogiteur dépourvu de caractère, un négateur de la vie dépourvu d’identité, un esprit exclusivement négatif qui observait tout d’une manière presque autosacrificielle. Il se laissait porter, il musardait, avec une si grande indifférence qu’elle avait pu lui donner une sensation de liberté, d’indépendance. Il était sur le chemin de la vie un randonneur anonyme, un vagabond gauche, qui marchait le dos rond et les yeux rivés sur le sol, en plein mitan de sa jeunesse, année après année.
Il n’avait pas réussi à se déterminer sur ce qu’il allait devenir, et il éprouvait une certaine joie face à cette indétermination, indéterminé comme il était à visualiser et à se créer un avenir.
— Dag Solstad, T. Singer (trad. Jean-Baptiste Coursaud)