[CHANT DU MINEUR]

Le maître de la terre, il l’est
L’arpenteur de ses profondeurs,
Et dans son sein il ne connaît
Plus nulle peine ni langueur.

Aux structures du roc il sait
Voir la secrète architecture,
Et jamais il n’est las d’aller
La rejoindre en son atelier.

Il lui est attaché, uni
Intimement, en confidence,
Et la flamme qu’il a pour elle
Est comme pour sa fiancée.

Jour après jour il la contemple
Avec un plus nouvel amour,
Et sans compter peine ou souci,
Il lui donne tous ses instants.

Elle est, dans son amitié,
Toujours prête à lui raconter
Les formidables aventures
D’un temps immensément lointain.

Il sent passer sur son visage
Le souffle saint des origines,
Et pour lui, dans la nuit du gouffre
Luit un rayon d’éternité.

Il est conduit par tous chemins
Au pays de sa connaissance,
Et elle, volontiers, se prête
Et s’ouvre à l’œuvre de ses mains.

Ses pas ont pour guides les eaux
Qui le suivent dans la montagne,
À lui, tous les donjons du roc
Ouvrent et livrent leurs trésors.

Jusque dans la maison du roi
Il amène le fleuve d’or,
Et de précieuses pierreries
Il enrichit des diadèmes.

Vraiment fidèle au roi il offre
Ce bras qui porte la fortune
Mais pour soi il demande peu
Et garde heureux sa pauvreté.

Ils peuvent bien s’égorger tous
Là-bas pour l’or et la richesse !
Il reste, lui, dans ses montagnes
Joyeusement maître du monde.

— Novalis, Henri d’Ofterdingen (trad. Armel Guerne)