Dans six mois et huit jours, toutes les conditions seront requises pour que je puisse prendre ma retraite. Cela doit faire au moins cinq ans que je calcule quotidiennement le temps qui me reste à travailler. Ai-je un tel besoin de loisirs ? Je ne le pense pas. Ce n’est pas de loisirs que j’ai besoin, mais du droit à un travail que j’aime. Par exemple ? Jardiner. C’est une activité excellente et reposante pour les dimanches, un contrepoids à la vie sédentaire, et une défense contre l’arthrite future et néanmoins certaine. Mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir supporter le jardinage tous les jours. La guitare peut-être. C’est assez tentant. Mais ce doit être décourageant de commencer à étudier le solfège à quarante-neuf ans. Écrire ? Je ne serais peut-être pas un trop mauvais écrivain ; en général, les gens aiment lire mes lettres. Ce qui ne veut rien dire. J’imagine une petite note bibliographique sur les « qualités certaines de ce nouvel auteur presque quinquagénaire » et rien que d’y penser j’en ai le frisson. Le fait de me sentir, encore aujourd’hui, candide et immature (c’est-à-dire avec tous les défauts de la jeunesse et presque aucune de ses qualités) ne me donne pas le droit d’exhiber cette candeur et ce manque de maturité.
— Mario Benedetti, la Trêve (trad. Annie Morvan)