11. Siu Oniriachvili

Une partie importante de notre existence s’est déroulée dans des camps de rééducation, car parfois, au lieu de nous tuer, on nous offrait la possibilité de nous intégrer à la société et d’apprendre comment participer aux constructions mentales, aux loisirs, aux guerres et au système de valeurs que prônait l’ennemi. Il fallait cependant pour arriver à cela suivre un entraînement complexe et procéder étape par étape pour prendre en compte nos déviances génétiques et notre coriacité. À en croire ceux qui nous tapaient dessus, nous appartenions à une espèce que les savants de l’ennemi ou même les organisations caritatives recensaient parmi les hominidés les plus arriérés et les moins dignes de soutien et de confiance. L’expérience d’ailleurs confirmait cela, elle montrait que nous étions des sujets peu malléables, dissimulant de noires obstinations sous une surface trompeuse d’idiotie, et en résumé tristement hypocrites quels que fussent les exercices d’épanouissement ou d’apostasie qu’on nous proposait. Nous étions en outre prompts à la récidive. Les médecins et les policiers qui soignaient nos tares dans leurs ateliers spéciaux avaient tendance à penser qu’on pouvait à la rigueur obtenir une rémission des aberrantes maladies mentales qui nous frappaient, mais que la guérison proprement dite était impossible. Nous leur donnions raison dès qu’ils tournaient le dos. Au sortir des centres, ceux qui avaient survécu au traitement retombaient aussitôt dans la misère sociale et le crime en bande, reprenaient le chemin de la subversion et n’appliquaient absolument aucune des leçons reçues.

— Lutz Bassman, Danse avec Nathan Golshem

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