Ceux qui m’entourent et me soignent se déclarent résolument optimistes en ce qui concerne mon état. Ils me paraissent même soulagés comme si je venais de franchir un cap difficile dans l’évolution de ma maladie. À les entendre, je ne tarderai pas à sortir, à respirer l’air frais, à reprendre des activités. Mais ils se refusent toujours à m’éclairer sur le mal qui m’a abattu, sur les conditions de mon sauvetage, sur les raisons véritables de mon hospitalisation. Ce qui me réjouit surtout, c’est que les périodes au cours desquelles j’ai la force de parler s’allongent sensiblement. Certes, je retourne encore très vite à ma prostration, mais je ne suis plus angoissé à la perspective de subir ces interminables sommeils. Alors que jusqu’ici ils me fatiguaient, maintenant ils me sont réparateurs. D’ailleurs il me semble que j’écris de mieux en mieux. Les épisodes fantastiques et cruels ne m’effraient plus, ils sèment moins de désordre dans mon esprit. Au surplus, il advient que les masses apeurées et les dirigeants rondouillards qui peuplent ma mémoire me deviennent sympathiques. M’étant confié à ce sujet au médecin-chef, il m’a expliqué qu’une réconciliation générale entre le monde et moi était en vue. Ainsi, à mesure que le livre avançait, nous nous acheminions la main dans la main, lui vers sa fin, moi vers la guérison.
— René-Victor Pilhes, l’Imprécateur