Innombrables sont les ruses, me suis-je dit à voix basse, qui nous permettent d’oublier momentanément le monde qui nous entoure. Car ne sommes-nous pas tous, un jour ou l’autre, un peu lassés par le monde qui nous entoure ? Nous trempons 99 % du temps dans les fruits un peu ramollis de notre jardin intérieur, à cueillir les fruits, à manger les fruits. Nous habitons dans des logements dont l’air, le sol et le reste sont saturés de peaux mortes – les nôtres – que dévorent des acariens parfaitement adaptés aux qualités de notre épiderme. Et des insectes se regroupent autour des acariens et les dévorent, puis se font dévorer à leur tour par des oiseaux qui, directement ou indirectement, trouvent leur chemin jusque dans notre assiette. Et cette roue tourne sans interruption ! Alors, quoi de plus normal que de vouloir, de temps à autre, s’extirper de cet environnement immédiat pour s’égarer dans un endroit lointain ? Mais au moment de choisir le lieu et les modalités de son évasion, chacun doit suivre ses prédispositions – surtout, ne jamais imposer aux autres sa manière de fuir ! – voilà qui me semblait particulièrement sage.
— Laurent Lussier, Un mal terrible se prépare