C’est à croire quelquefois qu’il n’aime pas son métier. Qu’il se rêve plutôt en historien, en philosophe, en journaliste, en psychologue ou en sociologue et qu’il se propose, comme ces derniers, de tout élucider. Alors l’écrivain enquête, raisonne, argumente. Il attrape un pan de réalité par les coins et le secoue comme un tapis. On loue sa lucidité, sa pénétration. Ce faisant, il a pourtant renoncé à toutes ses prérogatives. Le monde aveuglé déjà par les projecteurs et les Scialytique n’a pas vraiment besoin de sa lanterne. Peut-être même attend-il de lui le contraire exactement : qu’il s’oppose à l’extinction de la légende, du mystère, au règne totalitaire de la transparence. L’écrivain n’est pas un laveur de carreaux. Il ne délivre pas une parole autorisée. Il n’est expert en rien. Il ne détient pas non plus de précieuses informations dont son lecteur serait avide ou curieux.
Or cette méprise est de plus en plus répandue et d’abord chez les auteurs eux-mêmes. Nous assistons à la disparition presque complète de l’écrivain fauteur de troubles pour l’esprit, façon Kafka, celui qui sait qu’il n’y a pas d’épaisseur sans opacité ni de songe sans énigme.