Le poste, quelquefois, on l’occupe sans y être occupé, pourrait-on dire. Comme Joël. Joël est au poste de coordination de la téléphonie. Le téléphone n’est pas encore installé dans le bureau de Joël ; sans téléphone, Joël a du mal à coordonner la téléphonie comme son poste le prévoit ; en attendant, il étudie le dossier, il discute du projet avec l’un ou l’autre. L’occupation de Joël ne remplit pas le temps ni l’espace ouverts par son poste. On dirait que l’espace et le temps du poste ont été ouverts avant de savoir à quoi ils allaient servir. L’occupation de Joël prend fin avant l’heure réglementaire de fin des occupations. Quand il a fini de relire l’étude du projet et qu’il n’a plus personne à qui parler, il ne lui reste plus qu’à chercher comment faire pour ne pas s’endormir, ou plutôt il n’a plus qu’à lutter de toutes ses forces contre la pesanteur qui le rive à la chaise, et l’envie irrésistible d’abandonner les bras sur le bureau, de poser la tête sur les bras et de fermer les yeux. Chose impossible à cause de la porte vitrée de la pièce et du passage incessant dans le couloir, et du regard que chacun jette en passant, comme aimanté, vers le dedans.
— Nicole Malinconi, Au bureau