À nous, les auteurs de nouvelles, certaines tentations majeures sont épargnées : nous ne faisons pas fortune, ni pour nous, ni pour autrui, et les gens qui font fortune grâce aux écrivains ne s’occupent pas de nous. Nul ne nous offre de grosses avances sur des récits non rédigés. Je n’ai jamais envié un écrivain qui gagne beaucoup d’argent, car la relation de causalité entre l’argent et l’écriture m’effraie. À lui seul, l’acte d’écrire est tout ce que je peux trouver le courage d’affronter chaque matin ; si ma subsistance et les espérances d’un éditeur en dépendaient, je ne pense pas que j’y arriverais. Ainsi, comme les poètes, les auteurs de nouvelles vivent dans un monde plus sûr. Il n’y a là personne à qui se vendre, personne pour qui achever en hâte un manuscrit ; nous n’avons de dette qu’envers nous-mêmes et envers ces histoires qui nous parlent d’où qu’elles se trouvent jusqu’à ce que nous les écrivions.
— André Dubus, « Vendre sa prose », Vendre sa prose (trad. Christine Le Bœuf)