Malgré moi, je suis gagné par un malaise des plus familiers : ma vie ne peut pas rester telle qu’elle est. Paradoxalement, je suis plutôt satisfait, en gros, de notre situation, c’est-à-dire de notre appartement, de mon salaire, de mon mode de vie quasi conjugal, c’est-à-dire de ma compagne Traudel. J’ai pourtant l’impression que, pendant tout ce temps, une chose irréfrénable se déroule : ma vie. Ces deux derniers mois, mon besoin intérieur de diriger ma vie vers de nouvelles voies est devenu de plus en plus manifeste. Le désir de changement génère une pression à laquelle je suis exposé presque sans défense car je n’ai pas la moindre idée de la façon d’amener un quelconque changement. Ce n’est pas toute la vérité. De temps en temps se montre une petite lueur d’espoir qui laisse en moi une sorte d’éclat. Traudel polémique fortement contre mes désirs de changement. Elle me répète toujours que j’ai toutes les raisons d’être satisfait à la fois du monde et de moi-même. C’est une honte, dit-elle, qu’un homme avec une bonne situation comme toi se promène avec des idées aussi fantomatiques dans la tête. Généralement, j’acquiesce et, pendant quelque temps, je n’en parle plus.
— Wilhelm Genazino, le Bonheur par des temps éloignés du bonheur (trad. Anne Weber)