Pour donner une idée du genre d’événements qui absorbaient mon attention, je rapporterai un petit fait. Depuis longtemps le propriétaire de mon hôtel projetait des travaux. Chaque semaine voyait l’établissement de nouveaux devis, les machinations de nouveaux entrepreneurs. Perplexe, il m’interrogeait. Il craignait, ce dont je ne le blâmerais pas, de s’engager dans de trop grosses dépenses. « Il vaut peut-être mieux que vous attendiez des circonstances plus favorables », lui conseillais-je invariablement car je ne demandais qu’à ce qu’il laissât les choses en état. Je n’avais pas d’argent. Je prévoyais qu’en cas de réfection, le ton de l’hôtel monterait. On attendrait de moi que je me mette au diapason. Les premiers temps, on se souviendrait que j’étais un vieux client. Mais après ?

« Qu’est-ce que vous diriez si, pour commencer, je me contentais de faire refaire les peintures ?

— Ce n’est pas une mauvaise idée. Mais moi, à votre place, j’attendrais d’être en mesure de faire faire tous les travaux en même temps. Je me permets de vous dire cela parce que vous me demandez mon avis.

— Vous avez sans doute raison », me répondit-il sur un ton nuancé de respect.

Or, le lendemain, les peintres déposaient leurs seaux de couleur dans l’entrée.

— Emmanuel Bove, Mémoires d’un homme singulier

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