I

LA CHAMBRE DU MALADE

Êtres valides, quand un malade lève les yeux sur vous, c’est dans son ardent regard qu’il vous faut saisir tout le prix de votre santé.

Hier, j’étais un homme comme les autres. J’appréciais peu mes courtes joies et donnais de l’importance à mes plus négligeables soucis ; je méconnaissais la vie, je me plaignais qu’elle ne servît pas assez docilement mes intérêts, mon ambition ou mes plaisirs ; je me croyais malheureux parce que le moindre de mes souhaits tardait à se réaliser et je ne soupçonnais pas que je portais en moi, sous la peau, le plus précieux de tous les biens, le premier, celui sans lequel on ne peut goûter aucun autre. Aujourd’hui, je suis étendu sur un lit, consumé par la fièvre, sous l’œil d’une garde-malade silencieuse, sentant derrière la porte l’inquiétude de ma mère qui rôde. Et je pense simplement ceci : « J’ai trente ans et je vais mourir. »

— Louis de Robert, le Roman du malade