Ce qui faisait son être intime datait d’avant. Ce jour-là, à sa fenêtre, il eut le sentiment que tout ce qui avait un rapport quelconque avec Fombonne ne l’avait qu’effleuré, et que tout ce qui était vraiment lui-même n’existait qu’au fond de sa mémoire. Il serra son front entre le petit doigt et le pouce, comme si avec la main entière le geste eût été trop matériel. C’était donc ce qu’il avait quitté avec tant de joie qu’il regrettait. Il se souvenait pourtant de l’enchantement qu’avaient été les premiers mois à Fombonne. Ni l’amour ni la paix ne l’eussent fait naître seul. Cet enchantement avait été celui-ci que nous apportent l’espérance de cet amour et de cette paix, de la fin de nos misères, une ville inconnue où nous allons tâcher de vivre autrement, où tout semble nous dire que nous allons pouvoir le faire, où la maison que nous avons louée est vide, spacieuse, gaie, où le soleil se lève chaque matin aussi brillant que dans notre jeunesse. C’est l’enchantement d’une convalescence. Rien n’a vieilli, même pas nous-même. Digoin songeait à ces mois extraordinaires. Il faudrait partir pour les retrouver.

— Emmanuel Bove, Adieu Fombonne